Capsules d'histoire - Autres
L’île Belœil (aujourd’hui Qikiqta)
L’acte de donner un nom à un lieu est aussi ancien que l’origine de la parole chez l’homme. Cette activité se développe avec les cartes géographiques. Elle devient, à un moment donné, un acte politique de prise de possession.
Et c’est ce qui gouverne l’explorateur canadien Joseph-Elzéar Bernier lors de son départ vers le Grand Nord en 1906. À l’époque, le Canada, sous l’autorité du premier ministre Wilfrid Laurier, se transforme et s’émancipe de la tutelle anglaise. S’il existait, depuis 1867, un ministère de la Marine et des Pêcheries, il n’y a pas encore de « Marine du Canada ». Nos marins étaient des membres de la Marine royale britannique. Certes, le changement se préparait depuis quelques années, mais il sera opéré par le nouveau ministre, le député libéral de Rouville de l’époque, l’honorable Louis-Philippe Brodeur, un Belœillois d’origine qui défendra la souveraineté canadienne et créera la « Marine royale du Canada » en 1910.
Le capitaine Bernier s’était fait le promoteur d’un projet d’exploration des territoires arctiques au cours des années précédentes. Il avait effectué, à son compte, un premier voyage en 1904-1905 en passant l’hiver dans la baie Fullerton (Qatiktalik). Il accomplira deux autres périples en 1908-1909 et en 1910-1911, mandaté par notre ministre du service de la Marine. C’est lors de son hivernage à Pond Inlet (72° 42′ 00″ N, 77° 57′ 40″ O), sur l’île de Baffin, qu’il désigne un îlot de pierre à proximité comme « l’île Belœil » et, plus tard, un autre lieu de l’île comme « la péninsule Brodeur » (lieu inhabité), afin d’honorer son ministre et probablement son ami.
Tout au long de ses voyages, le capitaine Bernier veille donc à redésigner les lieux que les Britanniques avaient déjà nommés dans leurs explorations afin d’affirmer la nouvelle frontière canadienne dans le Grand Nord de l’Amérique.
Avec la création du Nunavut en 1999, après un long processus de revendication, les Inuits établissent graduellement leur gouvernance sur cet immense territoire. Les Inuits de la région de Qikiqtaaluk reprennent possession de leurs lieux d’habitat en les marquant de leurs toponymes, dont cet îlot ou rocher, qui, cent ans après sa désignation par le capitaine Bernier, est désormais appelé Qikiqta dans le petit havre Albert.
Ainsi, grâce au ministre Brodeur et au capitaine Bernier, le toponyme Belœil parcourt un voyage historique centenaire amenant son petit grain de sel à l’épopée canadienne.
– Gino Ongaro, SHGBMSH
La capsule a paru dans L’Oeil régional, 29 mai 2024, p. 23.