Capsules d'histoire - Culture et société
Un réfugié américain abrité à Mont-Saint-Hilaire
Pour les amants de petite histoire, voici un résumé d’une légende peu connue qui fut publié par l’auteur dans un journal d’Atlanta, aux États-Unis, dans les années 1920
« Peu de gens connaissent cette histoire, dit la vieille dame, tout s’est déroulé dans le plus grand secret et un très petit nombre de personnes en ont eu connaissance.
C’était en 1865, peu de temps après la fin de la guerre de Sécession et l’assassinat du président Abraham Lincoln. Au paisible couvent de Saint-Hilaire, où j’étais élevé, il n’arrivait que de faibles échos des tristes et lointains évènements qui bouleversaient nos voisins américains. Le dernier jour de novembre, l’élève qu’on surnommait la fureteuse bondit dans notre petit groupe. « Hier, malgré le froid de loup, dit-elle, Pierre du Tilly, l’homme de confiance du curé Soly, est allé à Montréal sans dire un mot à personne. Il a ramené un beau jeune homme qu’on a l’air de vouloir cacher dans le presbytère. Qui est-ce? Personne ne le sait… »
Nos imaginations trottaient, cette nuit-là, je n’ai pas besoin de vous le dire. Quelques jours plus tard, Laure de Saint-Ours, avait entrevu le jeune homme dans l’église. Il porte des habits de bonne coupe, il semble être fils de famille bourgeoise, dit-elle. Le lendemain, dans le silence de l’étude chacune du groupe recevait un papier ou elle pouvait lire. « Marie d’Orsonnens l’a vu! Il est grand, mince, il a l’air malheureux d’un prince en exil. » On se mit à rêver de descendant royal ayant trouvé asile dans notre belle paroisse française et catholique! Et chacune, en son for intérieur, priait pour le pauvre exilé.
Un matin, on apprit avec horreur qu’un meurtre avait été commis dans la paroisse voisine, après quoi les criminels seraient partis, croyant, selon les dires les plus terrifiants, avoir assassiné le mystérieux jeune homme hébergé au presbytère. Nous décidâmes alors, était-ce un désir bien féminin de vouloir participer à une conspiration, était-ce l’atavisme de descendantes des Patriotes dont le souvenir était encore tout chaud sur les bords du Richelieu? Nous décidâmes, dis-je, de prouver notre sympathie au protégé du curé et de lui écrire une lettre lui offrant notre aide, si la nécessité s’en présentait. La réponse à cette lettre,… ô mon coeur! c’est moi qui l’ai reçue en personne. Lors d’une visite de nouvelle année au curé de la paroisse, avec mon père, j’ai rencontré le beau jeune homme. Il se nommait John Surratt. Il avait des manières charmantes et je l’ai revu plusieurs fois par la suite.
Mes enfants, je peux aujourd’hui vous dévoiler le secret que je conserve au tréfonds de moi-même comme un dépôt sacré, depuis qu’il m’a été confié, à l’hiver de 1865. » La vieille dame baissa les yeux, joignit les mains. « John Surratt, né en Virginie, état sudiste, était orphelin de père. Pendant la guerre de Sécession, il demeurait à Washington avec sa mère qui, vivant au coeur des quartiers unionistes, accueillait dans sa maison des Sudistes et leur transmettait des informations utiles à leur cause qu’elle chérissait plus que tout. Les yeux de John brillaient d’admiration pour sa mère lorsqu’il racontait ces faits. Peu après la défaite du Sud, un acteur nommé John Wilkes Booth, qui logeait chez madame Surratt, ourdit le plus affreux des complots : assassiner le président Lincoln! Cet abominable crime retomba aussi sur madame Surratt qui n’y était pour rien. Victime de la colère de tout un peuple, elle fut arrêtée, sommairement jugée et pendue. La mère avait fait promettre à son fils John de ne pas risquer de geste inutile pour essayer de la sauver, lui-même étant recherche par la justice.
Après la mort de sa mère, John Surratt, hors-la-loi, réussit à franchir la frontière canadienne. Il se réfugia quelques mois à Saint-Hilaire et partit comme il était venu, dans le plus grand mystère. »
La vieille dame s’arrêta un moment, puis elle ajouta. « Dans une lettre où il me chargea de remercier mes compagnes pour leur accueil si gracieux, John Surratt avait glisse un petit ruban de soie aux couleurs sudistes que je conserve encore précieusement dans un vieux médaillon d’or… je vais vous le chercher… »
— Monique Martineau-Clerk , 1994