Capsules d'histoire - Artistes de la région
Paul-Émile Borduas (1905-1960)
Paul-Émile Borduas fut l’un des grands maîtres de la paroisse de Saint-Hilaire avec Ozias Leduc et Jordi Bonet.
Ozias Leduc était un artiste bien établi lorsqu’il reçoit Paul-Émile Borduas, qui avait alors seize ans, pour l’initier au dessin et à la peinture. C’est le fils aîné de Magloire Borduas, menuisier et voiturier du village, un enfant de constitution frêle, de santé trop fragile pour suivre les traces de son père. Celui-ci croit son enfant doué pour le dessin, l’amène à Correlieu, l’atelier de Leduc et celui-ci le prend sous son aile.
Paul-Émile Borduas devient l’assistant du sage de Saint-Hilaire dans ses travaux de peinture et la voie du jeune homme paraît déjà toute tracée : il sera décorateur d’églises comme son maître. En même temps qu’il aide celui-ci dans la décoration de la chapelle de l’évêché de Sherbrooke, il suit des cours de dessin à l’École des arts et métiers du même endroit et se mérite un premier prix en dessin. En 1923, Leduc pousse Borduas à s’inscrire à l’École des beaux-arts de Montréal où il réussit très bien tout en ayant des accrochages avec le directeur Maillard qu’il juge trop conservateur. Il obtient un brevet d’enseignement et peut envisager l’avenir avec optimisme : il pourra devenir peintre, décorateur d’église ou professeur de dessin. Il commence à enseigner à l’École du Plateau mais lorsqu’il apprend qu’il a été remplacé par un collègue sans en avoir été prévenu, insulté et blessé, il démissionne et le 1er novembre 1928, 23 ans jour pour jour après sa naissance, il part pour Paris.
De retour trois ans plus tard après avoir été en contact à Paris avec les grands artistes en art religieux, il se remet à l’enseignement tout en s’engageant dans une carrière de peintre d’abord figuratif. Il peint alors le mont Saint-Hilaire de même que l’église du village et quelques portraits dont celui de sa future épouse Gabrielle Goyette.
Au cours de la période 1937-1953 qui voit le passage du figuratif à l’abstraction dans son œuvre, Borduas vit surtout à Saint-Hilaire mais il fréquente Ozias Leduc moins souvent. C’est qu’il s’est fait de nouveaux amis qui partagent davantage les préoccupations picturales qui sont apparues chez lui. L’artiste est de plus en plus attiré par les nouveaux courants de l’avant-garde parisienne et il se livre à des recherches picturales intenses qui mènent à ses premières œuvres abstraites en 1941. Un groupe de jeunes peintres se forme autour de lui, qu’on appellera les Automatistes. C’est bientôt la rupture avec le milieu bien-pensant de l’époque, la publication du Refus global en 1948 et pour Borduas, la perte de son emploi de professeur à l’École du meuble.
L’artiste, réfugié dans sa maison de Saint-Hilaire, doit peindre, exposer et vendre pour subsister mais ses disciples le quittent progressivement de même que son épouse avec ses enfants. Après une période d’abattement, il se remet à la peinture et décide de partir pour New York (1953). Sa production y est bien accueillie et son œuvre est de plus en plus reconnue dans les expositions. Mais Borduas veut revenir à Paris où il s’installe deux ans plus tard. Sa vie y est difficile et l’artiste, souvent malade, passe par des périodes de dépressions interrompues par ses succès relatifs dans les galeries. Sa peinture devient de plus en plus sévère alors que sa santé décline jusqu’à son décès en février 1960.
Les nombreuses années passées par Borduas à Montréal, New York et Paris pourraient laisser croire qu’il oublia rapidement sa paroisse natale de Saint-Hilaire. Il n’en est rien comme l’a démontré l’historien de l’art François-Marc Gagnon. Mis à part le fait qu’un tableau de Leduc et de Borduas (L’Île enchantée) porte le même titre, plusieurs œuvres de l’artiste automatiste rappellent Saint-Hilaire, et surtout sa montagne, à la connaissance de laquelle Borduas avait été initié lorsqu’il était l’élève d’Ozias Leduc.
La falaise Dieppe, au mont Saint-Hilaire, a inspiré Borduas dans ses tableaux Les voiles blancs du château-falaise (1949) et Le facteur ailé de la falaise (1947), le facteur ailé pouvant être, d’après Gagnon, le porteur de la mauvaise nouvelle de la chute d’un grimpeur. Le titre de la gouache Le Trou-des-fées (1942) n’a pas besoin d’explication puisqu’on y voit très bien la forme de la montagne et l’ouverture de la grotte des fées. Le rocher noyé dans le vin (1949) est en fait le mont Saint-Hilaire qui à l’origine était un magma couleur de feu.
Des rapports de ce type peuvent être établis en ce qui concerne le lac Hertel, la neige de la montagne, l’ancienne mer de Champlain, etc. On n’en finirait pas d’établir ainsi des correspondances entre l’œuvre de Paul-Émile Borduas et les lieux de sa jeunesse. Ce qui est le plus remarquable, c’est qu’il s’agit de réminiscences de l’époque où Borduas fréquentait l’atelier de Leduc, au pied du mont Saint-Hilaire. Plusieurs années plus tard, à Paris, il confiera à quel point il s’ennuyait de sa montagne. En 1989, ses cendres étaient rapatriées au cimetière de Saint-Hilaire et il venait enfin y rejoindre son maître Ozias Leduc.
— Pierre Lambert, 2005 (mis à jour en 2020)