Capsules d'histoire - Commerce et industrie

Les moulins de Saint-Hilaire

 

Moulin Saint-Hilaire

Le moulin seigneurial au début du XXe siècle. SHBMSH, fonds Armand-Cardinal.

Au cours du XIXe siècle, Saint-Hilaire s’est développé autour de l’église sur les berges du Richelieu, comme la plupart des villages de la région. À cette époque, un petit noyau industriel a contribué à l’éclosion d’un autre petit village sur le flanc sud de la montagne. Le lac de la montagne (qui ne portait pas encore l’appellation de lac Hertel) se déchargeait par un ruisseau qui descendait rejoindre la rivière des Hurons en contrebas. Le long du ruisseau, pas moins de neuf moulins aux diverses fonctions utilisèrent ce pouvoir hydraulique aux vertus économiques indéniables. Il s’agissait de plusieurs moulins à farine, mais également à scie et à carde. Le blé constituait la matière première des moulins à farine; éventuellement, on introduisit le maïs et l’orge, puis le sarrasin et l’avoine.

Les moulins à scie fournissaient du bois de construction et de l’outillage pour les habitants et les meuniers. De leur côté, les moulins à carde (au nombre de trois) avaient des fonctions diversifiées; on y broyait le lin, foulait et teignait les étoffes, cardait la laine, tissait de la corde, etc. Le premier moulin fut construit par le seigneur de Rouville, René-Ovide Hertel, en 1775; cela faisait partie de ses obligations. Celui-ci avait la propriété exclusive du cours d’eau et bénéficiait des revenus engendrés par le moulin (qui porte l’appellation de « moulin banal »). Par la suite, d’autres moulins furent érigés et opérés par le seigneur. Pour s’assurer que tout fonctionnait bien, notre noble propriétaire se fiait sur les meuniers. Ceux-ci devaient non seulement « faire tourner la roue », mais aussi faire rapport à leur patron de toutes les transactions effectuées avec les habitants. Ils ne percevaient pas d’argent, mais émettaient des bons permettant aux habitants de se procurer de la farine; ils devaient donc savoir écrire.

Le meunier du moulin banal était sans contredit le plus important de tous, car, en plus des opérations habituelles, il devait surveiller la chaussée et contrôler le débit du « canal ». Il entretenait les vergers et les noyers du seigneur et lui rapportait sa part des récoltes (la moitié des pommes et les deux-tiers des noix). Il surveillait également la chasse et la pêche dans la montagne. Les meuniers les plus connus sont François-Xavier Lahaise et son fils Francis Lahaise, qui opérèrent le moulin banal de 1848 à 1919.

Ce moulin est celui qui a fonctionné le plus longtemps, soit près de 125 ans. Far contre, les archives seigneuriales révèlent qu’il n’était pas en opération de 1844 à 1848 : un incendie en serait la cause. Le major Campbell se servit des fondations pour rebâtir le moulin seigneurial en pierre grise et noire (provenant de la montagne) et le munit d’une turbine, une technologie introduite à la fin des années 1820. Il cessa définitivement de tourner en 1919. Selon certaines informations, le moulin aurait été utilisé par la suite comme baraquement militaire, sous l’égide du militaire Thomas Guerin. En 1929, ce dernier achète le moulin et le grand terrain pour 3 000$. Au fil des ans, il le transforme en une résidence somptueuse. Quatre-vingt-dix ans plus tard, il appartient toujours à la famille Guerin

Deux des neuf moulins avaient un meunier pour propriétaire. Il s’agit des moulins à carde de Jean-Marie Tétro-Ducharme, dont son fils François-Édesse lui succédera et deviendra un des meilleurs teinturiers de la région; et celui de Masa Branch Southwick. Le seigneur leur avait accordé un bail emphytéotique qui leur interdisait d’opérer un moulin à farine ou à scie, le seigneur en ayant l’exclusivité. De nos jours, outre le moulin seigneurial, il subsiste deux moulins; celui de Dominique Ducharme, incendié en 1911 et reconstruit vers 1929 par un industriel de Montréal, Marius Caya (qui en fit sa résidence) et celui de Masa B. Southwick, également transformé en résidence par Georges Henri Leduc au milieu du XXe siècle, après que son père Edmond Leduc l’ait utilisé pour sa fabrique de tonneaux. Fait à noter : le moulin Ducharme-Caya a conservé sa roue à aubes jusqu’au début des années 1990; aujourd’hui seul, l’axe demeure visible

L’ère des moulins à eau de Saint-Hilaire a duré environ 150 ans. Le progrès et les nouvelles technologies du XXe siècle ont vite fait de les rendre désuets, surtout avec l’avènement des moteurs à vapeur beaucoup plus performants et l’importation de cotonnades qui remplaça la toile de lin. Malgré les efforts des enfants Campbell pour succéder à leur père (Thomas Edmund), les moulins de Saint-Hilaire ne survécurent pas; une page de l’histoire de la montagne s’est définitivement tournée au début du XXe siècle.

— Anne-Marie Charuest, 2021