Capsules d'histoire - Culture et Société

Les premières sages-femmes de Belœil

 

PresbytèreBeloeil

C’est au presbytère qu’étaient déposés les registres où étaient consignés les ondoiements faits par les sages-femmes. La photographie fait voir le presbytère au dix-neuvième siècle. SHBMSH, fonds Pierre-Lambert.

 

A l’origine de nos paroisses, alors que les médecins étaient encore peu nombreux et résidaient avant tout dans les quelques villes que comptait alors le Québec, les femmes sur le point d’accoucher faisaient appel à une parente ou une voisine experte pour les aider dans ce moment difficile. Ces femmes expertes, souvent des veuves, étaient des sages- femmes.

On ne mentionne presque jamais leur nom dans les archives de Belœil. Alors, comment les retracer? Par les ondoiements. Les nouveaux nés en danger de mort devaient être ondoyés et ces ondoiements, tenant lieu de baptêmes, sont inscrits au registre de l’état civil de la paroisse qui indique quel est l’individu qui ondoie : sage-femme, médecin ou autre personne.

En étudiant la liste des ondoiements, on en déduit qu’à Belœil et Saint-Hilaire, pendant des années, la sage-femme paraît avoir été la seule à pratiquer les accouchements. Quand le médecin et notaire Charles-Étienne Letestu arrive dans la paroisse, il intervient très peu dans le domaine; il pratique un accouchement en 1787, mais laisse agir la sage-femme auprès de sa propre épouse sept ans plus tard! Par contre, le chirurgien Iserhof s’occupera que quelques accouchements.

Les sages-femmes de Belœil conservèrent leur monopole jusqu’en 1795. Elles avaient jusqu’alors effectué 80 % des 41 ondoiements pour lesquels on connaît l’exécutant, les médecins n’ondoyant que dans 10 % des cas. De 1796 a 1815 (dernière année étudiée), revirement complet de la situation : les médecins administrent l’ondée dans 10 des 15 cas qu’on peut identifier (même si pendant plusieurs années aucun médecin ne réside à Belœil!). C’est comme si les paroissiens préféraient de plus en plus faire venir un médecin de  Chambly, de Saint-Charles et même de Saint-Denis plutôt que de recourir à la sage- femme.

Est-ce un choix des paroissiens, à moins que ce soit la sage-femme elle-même qui prenne de moins en moins de risques dans les accouchements délicats et préfère appeler un médecin, à la suite des exhortations du curé? Il n’est pas sans intérêt de mentionner que les changements d’attitudes face aux ondoiements coïncident avec l’arrivée, à Belœil, d’un nouveau curé, le curé Fréchette, qui demeure 20 ans sur place. Par ailleurs, compte tenu du nombre de baptêmes, les ondoiements sont deux fois moins nombreux après 1796. Pourquoi? Les accouchements étaient-ils mieux réussis parce qu’exécutés par des médecins? Les paroissiens se fiaient-ils moins aux sages-femmes? Le nouveau curé n’avait-il pas simplement donné l’ordre aux sages-femmes de n’ondoyer que dans les cas d’absolue nécessité et d’appeler plutôt le médecin? Mystère.

Peu à peu, les médecins en vinrent à occuper tout le terrain occupé jusque-là par les sages- femmes. C’est que l’obstétrique représentait de 25 à 50 % de la pratique courante d’un médecin de campagne; c’est en pratiquant des bons accouchements qu’un médecin se gagnait une clientèle. Les médecins accuseront de plus en plus souvent les sages-femmes d’être de mauvaises praticiennes, de commettre parfois de véritables meurtres. À mesure que s’avancera le dix-neuvième siècle, les sages-femmes seront évincées du domaine de l’obstétrique.

— Pierre Lambert, 1994 (mis à jour en 2020)