Capsules d'histoire - Culture et société

Les Noëls d’autrefois à Saint-Hilaire

« La bénédiction du jour de l’An » dans Edmond Massicotte, Les Canadiens d’autrefois.

Les gens de Saint-Hilaire passaient autrefois les Fêtes de la même façon que dans les autres paroisses. C’étaient des Fêtes religieuses, régies par le calendrier liturgique, qui commençaient avec l’Avent et se terminaient à l’Épiphanie (les Rois). Elles se prolongeaient parfois jusqu’au Mardi-Gras, dernier moment de réjouissances avant le Carême qui débutait le lendemain. Plusieurs de ces coutumes sont disparues ou ont été modifiées avec la transformation de la société depuis un demi-siècle.

L’Avent durait les quatre semaines précédant Noël. C’était la période préparatoire à la venue de l’Enfant Jésus sur terre. Les adultes le plus pieux faisaient pénitence; les enfants se privaient de bonbons. Mais c’était surtout le moment de préparer tous ces repas où l’on accueillerait les parents éloignés et les amis. Les hommes faisaient boucherie, les femmes cuisinaient les viandes en pâtés, tourtières, cretons, etc. Il ne fallait pas oublier les desserts, pâtisseries, beignes, croquignoles. Tout était conservé au froid dans la cuisine d’été ou gelé à l’extérieur. L’Avent était une période joyeuse malgré les restrictions religieuses. Les enfants étaient de plus en plus nerveux à mesure que Noël approchait et leur mère les envoyait jouer à l’extérieur pour qu’ils y déversent leur trop plein d’énergie.

La veille de Noël, on jeûnait, on priait, on allait se confesser et les personnes qui désiraient obtenir une grâce récitaient cinq Ave toutes les heures, de midi à minuit. Les enfants allaient se coucher tôt pour ne pas s’endormir durant la nuit de Noël. Le premier arbre de Noël illuminé au Québec fut installé à Sorel en 1781, mais cette coutume prit près d’un siècle avant de se généraliser. Jusque vers 1875, la décoration de la maison était réduite au minimum sauf dans les familles les plus à l’aise.

Noël débutait avec la messe de minuit. Les carrioles arrivaient à l’église en procession, leurs occupants recouverts de robes de carriole (des fourrures d’animaux). On assistait à la messe de minuit, ponctuée des plus beaux cantiques, ainsi qu’aux deux messes de l’aurore. On allait admirer l’Enfant Jésus maintenant installé dans sa crèche. En sortant, les paroissiens s’échangeaient leurs vœux.

De retour à la maison, on s’installait pour un réveillon copieux : ragoût, tourtières, pâtés, tartes; les hommes y allaient de bonnes rasades de rhum. On laissait souvent une place libre (la place du pauvre, ou du quêteux) à la table pour qu’un visiteur impromptu puisse se joindre aux réjouissances.

À partir des années 1850-1880, le personnage de Santa Claus, né aux États-Unis, commença à se répandre dans les paroisses de la vallée du Saint-Laurent et les étrennes furent dès lors distribuées dans la nuit de Noël, principalement dans les familles anglophones. Au début, on traduisait Santa Claus par Saint Nicolas. Par exemple, dans son conte La nuit de Noël du capitaine Allan, Roquebrune met en scène un habitant de Saint-Hilaire déguisé en saint Nicolas et qui donne des friandises à son fils.

Ce n’est que beaucoup plus tard que l’appellation Saint Nicolas disparut ; le personnage fut appelé Santa Claus, puis Père Noël, un gros bonhomme joyeux qui passait de cheminée en cheminée pour remplir de bonbons, d’un petit cadeau, d’une orange les bas que les enfants sages avaient accroché au manteau du foyer.

Au souper de Noël, qui réunissait la famille immédiate, on mangeait souvent la dinde accompagnée d’atocas, seul moment de l’année où ces baies apparaissaient à la table. Le tout se terminait par le pudding anglais et la bûche de Noël, symbole de la véritable bûche de bois franc qui, au moment d’être brûlée, répandait des bienfaits sur toute la famille. Ce n’est qu’après le souper qu’arrivaient parents plus éloignés et amis qui venaient offrir leurs voeux. Les tables étaient garnies de friandises, noix, raisins. On offrait des boissons et on faisait place à la musique et aux danseurs : on se lançait alors dans des valses, des gigues, des quadrilles et des cotillons. Dans son conte La Noël à Saint-Hilaire, orné d’une gravure d’Ozias Leduc intitulée En route pour la messe de minuit, à Saint-Hilaire, Camille Perras met en scène un jeune homme qui revient fêter Noël chez les siens après une longue absence.

Entre Noël et le jour de l’An, à certains endroits, le curé, accompagné de ses marguilliers, visitait ses paroissiens pour faire la quête de l’Enfant Jésus. On échangeait des vœux, le prêtre bénissait la famille, on prenait un petit remontant et on recueillait les dons en nature : des victuailles ou des céréales principalement, qui seraient plus tard distribuées aux pauvres ou mis à l’enchère dans le même but.

Dans la soirée précédant le jour de l’An, des jeunes couraient la guignolée. On se déguisait et on allait de porte en porte pour recueillir des biens pour les pauvres. On chantait « Bonsoir, le maître et la maîtresse! La guignolée, vous la devez!». Les paroissiens remettaient de la nourriture et notamment la « chignée », l’épine d’un porc frais.

Au jour de l’An, dès le réveil, les enfants et petits-enfants allaient demander la bénédiction paternelle; quelques-uns arrivaient de très loin. On se rendait ensuite à la messe. Jusque vers 1850-1880 et même plus tard dans certaines familles, c’est au premier de l’An que les étrennes étaient généralement distribuées. L’Enfant Jésus, pendant la nuit, avait déposé dans les bas, placés par les enfants au pied de leur lit, les friandises, oranges ou petits jouets. Le jour de l’An était une journée consacrée aux visites des parents, des amis et même des voisins, à la joie et à la gaieté, aux vœux du « paradis à la fin de vos jours ». Les rencontres finissaient tard dans la nuit, en danses et en chants joyeux.

Le docteur Ernest Choquette, ancien médecin et maire de Saint-Hilaire, nous a laissé de beaux souvenirs sur l’atmosphère du temps des Fêtes à Saint-Hilaire vers 1900, dans ses deux contes L’arbre de Noël de Pomponne et Le Dr Santa Claus. À cette époque comme maintenant, les jeunes parents avaient presque aussi hâte que leurs enfants à la distribution des étrennes. Choquette raconte que chez les petits anglophones, le père Nicholas (c’est le nom que portait le Père Noël à ce moment-là) passait à Noël, mais chez lui, comme sans doute dans les autres familles de Saint-Hilaire, c’était encore dans la nuit du premier de l’An qu’il arriverait par la cheminée pour installer dans le salon le sapin et toutes les étrennes promises aux enfants sages.

La veille, après le coucher de leur enfant Pomponne, le docteur avait réussi à faire entrer dans la maison un énorme sapin dont la cime touchait au plafond. Les adultes s’étaient mis en frais d’installer sur les branches des petites lanternes coloriées contenant des chandelles dont la lumière illuminerait le salon. Au pied de l’arbre, on déposait une multitude de jouets : des poupées, des petits chariots rouges, des valises minuscules, des chevaux mécaniques, des trompettes, des cornets de bonbons, des polichinelles, des drapeaux…

Il était alors onze heures du soir et il ne restait plus aux adultes qu’à aller se coucher pour se réveiller le premier de l’An avant que Pomponne ne le fasse, c’est-à-dire vers six heures, pour illuminer l’arbre et attendre l’enfant.

Le docteur Choquette raconte qu’il avait été appelé une nuit du jour de l’An au chevet d’un jeune enfant fiévreux particulièrement pauvre et qu’il s’était alors déguisé en père Nicholas. Il avait apporté de chez lui quelques jouets pris à ses enfants et avec de la ouate en guise de barbe, avait imité la voix du Père Nicholas qu’on commençait alors à appeler de plus en plus Santa Claus.

Les réjouissances des Fêtes se terminaient avec la fête des Rois (l’Épiphanie, le 6 janvier). C’était le moment où l’on servait à la fin du repas un gâteau contenant une fève et un pois; celui et celle qui en héritaient dans leur portion devenaient roi et reine de la soirée. C’était la soirée des « cavaliers ». Les réjouissances principales s’arrêtaient avec les Rois. Mais les veillées se poursuivaient jusqu’au Mardi gras.

Plusieurs légendes agrémentaient la période des Fêtes. Par exemple, durant la nuit de Noël, alors que toutes les maisons étaient illuminées et que les paroissiens étaient à l’église, les animaux dans les étables se mettaient à parler et se transmettaient la bonne nouvelle de la naissance de l’Enfant Dieu; ou bien tous les animaux se mettaient à genoux et adoraient le Nouveau-Né. Au même moment, les morts allaient s’agenouiller au pied de la grande croix du cimetière pour entendre la messe dite par le dernier curé de la paroisse.

On raconte également que durant la nuit de Noël, les montagnes s’entrouvraient et découvraient les merveilleux trésors cachés dans leur sol. Cependant, cette belle légende ne paraît pas avoir été répandue autour du mont Saint-Hilaire.

 

— Pierre Lambert, 2003 (mis à jour en 2020)