Capsules d'histoire - Mémoire des femmes
Huguette Bouchard-Bonet (1933-2019) : une œuvre de beauté
Dans « Destinée », un texte qu’elle a rédigé pour le magazine Parcours en 2012, Huguette Bouchard-Bonet affirme que, dès sa rencontre avec Jordi Bonet, son « destin était scellé ».
Née en 1933 à Ahuntsic d’un père inspecteur laitier et d’une mère au foyer, elle est l’aînée de trois filles. Toute jeune, elle se montre timide et réservée, réfugiée dans son monde intérieur qui l’inspirera toute sa vie. À 19 ans, elle entre à l’École des Beaux-Arts de Montréal qu’elle fréquente jusqu’en 1955 et où elle se forme en sculpture et céramique ; elle y rencontre celui qu’elle épousera en 1956 dans « une union du cœur et de l’âme » écrit-elle. De cette union naîtront deux fils, Laurent et Stéphane, et une fille, Sonia
Peu après son mariage, un premier voyage à Barcelone lui fait découvrir la richesse, qu’elle ne soupçonnait pas du tout, de la famille Godo du côté maternel et la richesse culturelle de la famille Bonet, intimement liée à la Sagrada Familia. Elle rencontre, avec Jordi, Salvador Dali qui voit en eux un frère et une sœur, confirmant ainsi ce qu’elle conçoit comme son destin. À leur retour au Québec, à la fin des années cinquante, Laurent est né et les débuts sont difficiles. Ils s’installent chez ses parents à Ahuntsic. Huguette soutient son mari, l’aide à peaufiner ses pièces de céramique tout en s’occupant de ses enfants. En 1969, les succès de Jordi permettent d’acheter, à Mont-Saint-Hilaire, le manoir Rouville-Campbell dont la découverte les avait enchantés. C’est là, au troisième étage, que Huguette peut créer ses œuvres tandis que Jordi travaille dans les anciennes écuries. La famille va demeurer au manoir jusqu’en 1986.
Durant toutes ces années, Huguette Bouchard travaille à ses œuvres, enseigne la sculpture et la céramique, donne des conférences au Musée des Beaux-Arts de Montréal, à Trois-Rivières et à Québec. Elle dirige la galerie Jordi-Bonet de 1980 à 1985 et ses œuvres font l’objet d’expositions de prestige à Montréal, à Mont-Saint-Hilaire, à Toronto, à New York, etc. Dans « Destinée », elle écrit que, même après 25 ans avec Jordi Bonet, elle « conserve ses couloirs d’inspiration propres ».
Malgré les épreuves qui jalonnent sa vie, dont le grave accident de Laurent en 1969, les décès de son fils Stéphane en 1971 et de son mari en 1979, cette femme forte reste proche de ses enfants, règle les questions matérielles et persiste dans son parcours d’artiste. Sonia témoigne : « Ma mère était dotée d’une capacité de survivre et d’une débrouillardise admirable, elle était surprenante ; son art, inspiré de ses rêves et de ses visions, contrastait avec son quotidien. Ma mère acceptait de vivre au second plan derrière Jordi, pour qui son art passait avant tout. C’était une femme exceptionnelle ! ».
L’univers de l’artiste est « empreint d’onirisme et de beauté » (R. Bernier). Ses œuvres tiennent d’un symbolisme dont la femme et l’amour sont les inspirations. Elle a innové dans sa manière de travailler la terre, les cuissons, les glaçures et les couleurs que les gens du métier admirent encore. Ses compositions complexes confèrent à son langage artistique une dimension singulière. D’après Pierre H. Savignac, son œuvre offre une synthèse harmonieuse du décor de la Nature et de l’Humain habité par l’esprit de Beauté avec des personnages sortis des royaumes où navigue l’artiste entre ses intuitions et ses rêves éveillés ou dormants. On retrouve des œuvres de l’artiste en céramique et en bronze dans des collections à Montréal, en Californie et jusqu’au Japon dont l’art la fascinait particulièrement.
Huguette Bouchard-Bonet a créé de la beauté toute sa vie. C’est à 80 ans que la maladie l’oblige à arrêter la sculpture. Femme amoureuse et mère aimante, cette artiste inspirée laisse une œuvre remarquable. Elle décède à Mont-Saint-Hilaire à l’âge de 86 ans.
— Louise Langevin
Références
Robert Bernier, « Dossier : femmes créatives », Revue Le Parcours, no 88, avril-mai 2016, p. 27.
Huguette Bouchard-Bonet, « Destinée, texte de Huguette Bouchard-Bonet, épouse de l’artiste », Parcours, décembre 2012, mis en ligne le 26 décembre 2019.
Pierre H. Savignac. « Une grande famille d’artistes, les Bonet », Le collectionneur, automne 1990, (non paginé).
Sonia Bonet, entretien avec l’autrice, Mont-Saint-Hilaire, 18 juin 2024.