Capsules d'histoire - Sports et loisirs
Les loisirs d’autrefois sur le Richelieu
Les Hilairemontais ont toujours pris plaisir à profiter de la rivière qui longe leur municipalité. On s’y est sûrement baigné dès les débuts de la paroisse, même si les historiens ne disposent pas de documents pour le démontrer. On trouve dans le secteur de ce qui est maintenant Otterburn Park une belle plage de sable qui a toujours été fréquentée. Les plus vieux citoyens se souviennent fort bien des plongeons au bas du pont ferroviaire et des traversées de la rivière à la nage. Mais les amateurs ont vite passé de l’agrément de la baignade au plaisir des défis, des compétitions, des courses sur le Richelieu, que ce soit à la nage, en canot, en chaloupe ou plus tard en embarcation motorisée.
La mise sur pied de régates et d’activités nautiques véritablement organisées n’est pas facile à retracer. Des régates avaient lieu sur le Richelieu dès 1876 mais les activités du club qui les organisait sont inconnues.On pense généralement que c’est quelques années plus tard, en 1879, que fut fondé le Club nautique Belœil. Saint-Hilaire mais cette fondation se serait peut-être produite vers 1883, d’après un texte historique. C’est dire à quel point règne l’incertitude sur les débuts des premières régates. Les compétitions de cette époque étaient très différentes de celles qui furent si populaires plus tard. Dans les années 1880, on s’affrontait dans des courses à la rame ou à l’aviron; c’étaient donc des fiers-à-bras qui se présentaient à ces courses. Ces concours étaient réglementés d’une façon très détaillée quant à la fabrication des chaloupes et à leurs dimensions. De plus, chaque embarcation devait être dirigée par un homme de petite taille au gouvernail. Les courses étaient vraiment démocratiques puisqu’on admettait la participation des femmes dans des concours à quatre, à deux ou à un seul rameur.
On ne possède pas beaucoup de renseignement sur ces régates des années 1880. On sait tout juste qu’en 1884 le programme était constitué de huit courses, toutes des courses de chaloupe. Deux compétitions étaient réservées aux membres du Club nautique. Les autres étaient ouvertes à tous sauf une réservée aux femmes et une autre aux enfants. Les courses allaient de un demi-mille (femmes et enfants) à quatre milles (course pour le championnat du Richelieu). Ces compétitions sur le Richelieu étaient assez importantes pour attirer la presse montréalaise. En 1884, par exemple, un journaliste relate l’éclatante victoire de Bruce Campbell sur le Beloeillois Desmarteau. Campbell était un rameur renommé qui avait à son actif plusieurs victoires sur des concurrents de la région et quand la course fut annoncée, les paris commencèrent à se multiplier sur l’issue de la compétition. On devine que derrière l’opposition entre Campbell et Desmarteau, c’était un combat entre Saint-Hilaire et Belœil qui s’annonçait.
Il s’agissait d’une course à la rame dont le départ serait donné par un coup de sifflet du bateau à vapeur Chambly. Chaque rameur était aidé par un barreur. La course se faisait en direction du pont ferroviaire dont il fallait contourner un pilier avant de revenir vers le village. Campbell distança bientôt Desmarteau et à l’arrivée au quai Jodoin, Campbell était à une vingtaine de longueurs devant le Beloeillois. Il y avait là, aux dires du journaliste, plus de 2 000 personnes venues applaudir la victoire de Bruce Campbell sur celui qui était jusqu’alors le meilleur homme du Richelieu. Cette première période de régates se serait terminée en 1886.
Après un sommeil d’une trentaine d’années, les régates réapparurent en 1916. Est-ce à la suite des défis que se lançaient Hilairemontais et Beloeillois, comme le rapporte l’historien Armand Cardinal? Il faut croire que les sportifs des deux rives s’ennuyaient des gageures ou des bravades! On résolut de répondre aux provocations des paroissiens d’en face en allant les affronter sur la rivière! Chaque paroisse possédait ses couleurs. Les Hilairemontais étaient en bleu et les Beloeillois en rouge. Des bateaux peinturés aux couleurs de chacune des paroisses s’opposaient dans des courses enlevantes pendant que les spectateurs agglutinés sur les deux rives retenaient leur respiration jusqu’à la victoire qui déclenchait des tonnerres de cris et d’applaudissements d’un côté de la rivière et la déception de l’autre côté. D’autres courses étaient davantage des concours d’habileté, comme les courses en cuvette (où il fallait ramer avec les mains) qui faisaient éclater de rire les spectateurs. Les juges étaient installés sur un radeau qui leur permettait de déterminer facilement qui remportait la bataille.
Les organisateurs des régates de 1916 comptaient parmi eux les hommes politiques Louis-Philippe Brodeur et Ernest Choquette (aussi maire de Mont Saint-Hilaire, médecin et romancier) et les juges Chaput, Delorimier, Lamontagne, Tremblay, Bousquet, Ouimet, Brillon et Hudon. À cela s’ajoutaient des présidents d’entreprise et des professionnels. C’est dire que le Club rassemblait le gratin de Saint-Hilaire et de Belœil et que les régates étaient l’occasion pour les curieux qui n’habitaient pas ici de venir admirer des sportifs devenus quasiment légendaires et vêtus pour la circonstance de leurs habits d’apparat. C’est au cours de cette deuxième série de régates que les motogodilles et les yachts firent leur apparition. Toute la journée du samedi leur était consacrée. Alors que les motogodilles étaient de petites embarcations à moteur hors-bord, les yachts possédaient deux ou quatre cylindres et développaient de 2 à 50 chevaux-vapeur selon les catégories. Ces compétitions étaient des courses de 8, 20 et même 40 milles de distance, les plus importantes étant ouvertes à tous (Free For All).
Le dimanche était consacré aux courses de chaloupes et de canots habituelles avec un ajout, la nage, sur 200 verges, qu’on retrouvait aussi aux régates d’Otterburn Park. Avez-vous déjà participé à une course de chaloupe à reculons? On en faisait une à la fête nautique de 1924, comme aussi une course des aveugles, les yeux bandés. Ces rencontres amicales, qu’on qualifia plus tard de « tapageuses », étaient avant tout l’occasion de jeux et de fêtes dont plusieurs se souvinrent longtemps, tellement ils étaient amusants. On a parlé abondamment du jeu du « poteau graissé », un mât recouvert d’une couche de suif et fixé horizontalement à la proue d’une embarcation. Ceux qui avaient gagné un prix devaient aller chercher un mouchoir à l’autre bout du mât en risquant de prendre un bain glacé s’ils glissaient. La course au bracelet était une compétition à la rame dans laquelle le jeune homme courait à la place de la jeune fille et lui remettait le prix gagné.
On terminait en soirée par un festival aussi bien terrestre que nautique. Un concours permettait de comparer les embarcations des deux paroisses avant de distribuer des prix aux meilleurs concurrents : c’était le concours d’illumination des embarcations, dont les propriétaires devaient se rendre en soirée à la traverse Desautels pour la compétition. Le concours d’illumination des maisons donnait la chance aux notables de montrer à la paroisse (et surtout à l’autre paroisse) de quoi ils étaient capables. Les régates de 1926 laissèrent un souvenir prolongé avec la victoire du notaire Desrochers de Saint-Hilaire, qui recouvrit littéralement sa maison d’ampoules électriques. Le notaire célébra son triomphe en offrant une réception comme personne n’en avait vu jusqu’alors.
Ces régates durèrent dix ans, de 1916 à 1926 et furent victimes des querelles de clochers entre nos paroisses. Il fallut attendre 25 ans pour que d’autres régates soient mises sur pied.
— Pierre Lambert, 2004 (mis à jour en 2020)