Capsules d'histoire - Transport
Belœil, lieu de la plus importante catastrophe ferroviaire du Canada à ce jour
— Véronique Désilets, avec l’aide de Diane Desmarais et de J.-Roger Cloutier
Le 29 juin 1864, 97 immigrants, surtout allemands, et deux employés du Grand Tronc trouvaient la mort lorsque les wagons dans lesquels ils prenaient place tombèrent dans la rivière Richelieu du côté de Belœil. La section pivotante (aujourd’hui fixe) du pont ferroviaire était alors ouverte pour laisser passer un convoi de barges se dirigeant vers les États-Unis.

Point Pivot, œuvre de Julie Robert à la Halte des Vapeurs (Photo : Diane Desmarais, 2021)
Parties de Hambourg en Allemagne le 18 mai 1864 à bord du voilier Neckar, ces familles avaient débarqué à Québec le 26 juin. Pour la plupart de ces 467 personnes, dont une centaine d’enfants, Montréal n’était que l’étape d’un long périple : 80 % d’entre elles allaient vers le Midwest américain, tandis que les autres rêvaient de destinations différentes. En cette période, le Grand Tronc, qui transportait des milliers d’immigrants à travers le continent, manquait de personnel et de matériel roulant; des wagons de marchandises avaient dû être sommairement aménagés en voitures de passagers.
De Québec vers Montréal, la voie ferrée passait par Saint-Hilaire. Toutefois, son tracé présentait ici certaines difficultés pour la conduite des locomotives : une dénivellation assez prononcée suivie d’un virage, puis d’un pont tournant pour laisser passer les bateaux.
Les trains devaient s’arrêter avant de s’engager sur le pont, consigne que le conducteur, nouvellement affecté à ce convoi, ignorait. Il ne tint pas compte du fanal rouge, signalant que le pont sur lequel il s’engageait dans la nuit était ouvert. Les voitures furent précipitées dans la rivière dans un fracas terrible. Employés des barges en tête, prêtres, médecins, le tout Belœil se mit à secourir les malheureux.
Il y eut une enquête. Le 12 juillet, le jury rendit son verdict. Tenu responsable de l’accident, le conducteur de la locomotive fut condamné à 10 ans de prison; il fut exonéré par la suite. Le jugement mentionna son manque d’expérience et de connaissance de la voie ferrée et de sa signalisation. Les gardiens du pont furent blâmés pour ne pas avoir rapporté à la compagnie que le train n’avait pas respecté la consigne d’arrêt obligatoire, transgression qui n’était pas rare. Le Grand Tronc aurait versé aux victimes quelque 250 000 $ en frais de réclamation.
La Société de bienfaisance allemande érigea un monument au cimetière protestant Mont-Royal, à la mémoire des 97 immigrants victimes de la tragédie dont 52, de confession protestante, y reposent dans un fosse commune. Les 45 victimes catholiques sont inhumées au cimetière de la Côte-des-Neiges.
En 2021, à l’appel de la SHGBMSH, la Ville de Belœil a érigé à la Halte des Vapeurs un monument à la mémoire des 99 victimes de la tragédie. Les patronymes des victimes sont gravés à l’intérieur du monument, Point Pivot.
La capsule a paru dans L’Œil régional, 24 juin 2025, p. 19.