Capsules d'histoire - Vie religieuse

François Noiseux, un curé hors de l’ordinaire

 

François Noiseux, curé de Belœil de 1774 à 1796. SHMBSH, fonds Pierre-Lambert.

François Noiseux, curé de Belœil de 1774 à 1796. SHMBSH, fonds Pierre-Lambert.

Quel curé que François Noiseux, qui mérite amplement le titre de curé fondateur de Belœil, même s’il fut en fait son troisième prêtre, après Mathieu LaTaille (1772-1773) et Joseph-Étienne Demeule (1773-1775). Arrivé à Belœil alors qu’il n’avait que 27 ans seulement, c’est lui qui, de tous les curés, résidera le plus longtemps ici : prés de 21 ans (de 1775 a 1796). C’est lui qui construira la première église de la paroisse (et avec son propre argent en plus!) et c’est lui qui fondera la paroisse de Saint-Hyacinthe (une enfant qui devint rapidement plus populeuse que sa mère belœilloise).

Il sera l’agent des terres et le maître d’œuvre de la colonisation des seigneuries de Rouville et de Saint-Hyacinthe tout en s’enrichissant. Il spéculera dans les terres de Belœil et deviendra le prêteur le plus important de la région. Tous ces talents attireront l’attention de son évêque qui le nommera vicaire général (équivalent d’un évêque) de la région du Richelieu puis du district de Trois-Rivières. Il y mourra à l’âge avancé de 86 ans, après avoir continué à s’enrichir (il possédait plusieurs pâtés de maisons dans le centre-ville), estimé de toute la population, aussi bien des autorités civiles que des Ursulines dont il s’occupait avec intelligence à faire fructifier les biens, apprécié aussi bien des catholiques que des protestants. Aujourd’hui, Noiseux aurait été cardinal, sans l’ombre d’un doute.

François Noiseux était né à Sainte-Foy en 1748. Il entrait au Séminaire à 17 ans et ses talents dans les mathématiques (à l’origine de ses succès d’administrateur) sont vite remarqués. Il est ordonné en 1774. Pourquoi devint-il curé de Belœil? Cette question en apparence anodine cache un mystère. Deux mois avant sa mutation à Belœil, les autorités religieuses de Québec se confiaient qu’il n’était pas question qu’il devienne professeur au Séminaire et qu’il fallait l’éloigner de Québec. C’est dans ces circonstances énigmatiques que Noiseux est arrivé à Belœil.

En 1783, alors qu’ils résident à Belœil, le général allemand Riedesel et son épouse achètent du curé Noiseux une épinette (un petit clavecin) utilisée dans le presbytère-chapelle de Belœil. SHBMSH, fonds Pierre-Lambert.

À peine Noiseux est-il installé dans sa nouvelle cure que les Américains envahissent la vallée du Richelieu; des Belœillois participent à des actes de pillage à Chambly et Noiseux refuse l’absolution au confessionnal tant que les pillards n’auront pas remis ce qui a été pris… L’année suivante, alors que les troupes anglo-allemandes (et leurs familles) sont stationnées à Belœil, Noiseux refuse de baptiser les enfants de ces soldats protestants alors que d’autres curés le font pourtant. Dans les deux cas, l’évêque de Québec approuve la prudence de Noiseux.

Ce dernier, d’ailleurs, s’intègre rapidement aussi bien dans les milieux militaires que religieux. En 1780, il se plaint aux autorités militaires que la route entre Saint-Charles et Saint-Hyacinthe est si mauvaise que sur plus de 10 km les calèches ne peuvent y circuler… En 1783, il vend au général allemand Riedesel un clavecin qu’il utilisait dans son presbytère-chapelle… Noiseux fraye avec tout le monde. À cette époque, à la demande de son évêque, il avait commencé à desservir les 75 familles de Saint-Hyacinthe et y avait ouvert les registres d’état civil. Il est considéré comme le curé fondateur de cette ville même s’il n’y résidait pas; il s’y rendait une semaine à tous les mois et demi. En 1781-1782, les habitants de l’endroit construisaient un presbytère dont les matériaux étaient payés par le curé de Belœil.

La seigneurie de Saint-Hyacinthe était alors entre les mains de Marie-Anne Crevier-Decheneaux, veuve du deuxième seigneur Jacques-Hyacinthe Simon dit Delorme. Celle- ci a besoin d’un homme honnête et qui s’y entend bien en chiffres pour diriger la seigneurie : ce sera François Noiseux, et, de 1779 à 1796, celui-ci octroiera au-delà de 450 concessions aux colons.Noiseux devenait à la même époque l’agent des terres de la seigneurie de Rouville, René- Ovide Hertel de Rouville ne portant aucun intérêt à la colonisation. À compter de décembre 1780 et sur une période de 15 ans, il concédait près de 150 terres. Il s’occupait de la construction du moulin à farine en 1784 et d’un moulin à scie en 1787. Il était le maître d’œuvre de la colonisation dans Saint-Hyacinthe et dans Rouville, moyennant une ristoume de 10 %. On comprend que François Noiseux soit devenu l’homme le plus riche de Belœil à cette époque!

Mais que fit le curé de son argent? D’abord, comme tout bon administrateur, il le fit fructifier en spéculant sur le prix des terrains du village et des environs, puis il le prêta, à intérêt, bien sûr, pour aider au progrès de la petite paroisse naissante. Au cours des 21 ans qu’il demeurera à Belœil, l’habile curé Noiseux se rendra compte que les terrains au cœur du village, près de l’église, ont bien plus de valeur que les autres : les marchands sont prêts à les payer un prix d’or pour être dans une situation centrale et attirer la plus grosse clientèle possible. Ces terrains situés entre les rues Saint-Jean-Baptiste et Saint-Mathieu, Noiseux les obtiendra graduellement par des achats ou des échanges pour les revendre à prix fort aux commerçants qui venaient s’installer au village. Le curé menait des opérations de même nature à d’autres endroits dans Saint-Hyacinthe ou dans Rouville; mentionnons le cas d’une terre obtenue pour 50 livres en mars 1790 et revendue 425 livres neuf mois plus tard…

Que faire pour faire fructifier cet argent? Le prêter. Mais les prêts à intérêt sont alors interdits par l’Église. Le curé, comme les gens riches de l’époque, jouera sur les mots pour arriver à ses fins. Il proposera aux emprunteurs de lui constituer une rente. L’emprunteur ayant obtenu un capital du curé s’engage à lui verser une rente « annuelle et perpétuelle » de 5 ou 6 % de ce capital, rente payée tant que le capital n’a pas été racheté par de très gros versements. Noiseux prêtera de l’argent de cette façon pendant un quart de siècle et on a retracé les noms de 183 emprunteurs. Le curé de Belœil était probablement le plus gros prêteur du Bas-Richelieu!

C’est le curé Noiseux qui finança la construction de la première église de Belœil, de 1784 à 1787. La bâtisse coûtait 15 000 livres totalement avancées par le curé et que les paroissiens rembourseraient pendant dix ans. Cette première église de Belœil fut inaugurée le 18 octobre 1787. Les gens de Rouville obtenaient alors la permission de l’évêque de conserver leurs bancs dans la nouvelle église pour cinq ans, même si leur nom n’apparaissait pas sur la liste de la répartition établie pour le remboursement. Le curé Noiseux aida les Belœillois de toutes sortes de façon au cours de ces années. Il dépanna des gens qui auraient fait faillite autrement, en particulier le marchand Dumon, qui avait des dettes importantes chez des fournisseurs de Québec. Il joua parfois le rôle de notaire pour signer des actes de vente entre des habitants; il était parfois exécuteur testamentaire; il fut parrain en de nombreuses occasions. Sa famille immédiate était également impliquée dans la vie paroissiale.

Il arrivait fréquemment à cette époque que le curé vive au presbytère avec ses parents. C’était le cas du curé Noiseux, qui fit venir de Québec son père François Noiseux, ancien capitaine de milice à Cap-Rouge et sa mère Marie-Anne Guilbault. Un de ses frères, Pierre-Victor, vécut pendant quelques années dans Rouville. Un fils de celui-ci, du nom de Pierre-Emmanuel, et parfois appelé Petrus, devint menuisier et obtint un contrat pour parachever l’église de Belœil en 1817. Mais l’église fut détruite par la foudre en octobre de cette même année et le contrat ne fut jamais exécuté. Le curé François Noiseux avait alors quitté Belœil pour Trois-Rivières en 1796.

Au cours des 21 années qu’il passa à Belœil, François Noiseux eut le temps d’utiliser ses talents multiples. Dans le domaine social et financier, rappelons la parole de son biographe, l’abbé Vallée qui reconnaît que Noiseux « avait l’esprit large, dans la bonne acception du mot. Il était ce que l’on appellerait aujourd’hui un opportuniste ». C’était un homme travaillant, intelligent, cultivé et ambitieux, sachant que de bonnes relations sont à la base de la réussite. Sa réussite matérielle, François Noiseux la fit servir au développement de son milieu et il n’y a pas de doute que par le financement de l’église paroissiale, par le support qu’il accorda aussi bien aux paysans qu’aux notables, il contribua pour beaucoup l’essor de Belœil.

 

— Pierre Lambert, 1994 (mis à jour en 2020)