Capsules d'histoire - Artistes de la région

Ozias Leduc, Mont-Saint-Hilaire comme un tableau

Ozias Leduc, SHGBMSH, Fonds Michel-Clerk

Le 16 juin 1955, Ozias Leduc mourait à Saint-Hyacinthe à l’âge de 90 ans. Il avait terminé quelques mois plus tôt la rédaction d’un texte poétique sur Saint-Hilaire: L’histoire de Saint-Hilaire, on l’entend, on la voit. En décembre de cette même année 1955, on inaugurait une importante exposition itinérante mise sur pied par la Galerie nationale du Canada, Ozias Leduc 1864-1955.

Le peintre était né le 8 octobre 1864 dans une petite maison du chemin des Trente (maintenant 272, chemin Ozias-Leduc). Il était le fils d’Antoine Leduc, un menuisier et pomiculteur et d’Émilie Brouillette, qui s’étaient mariés dans l’église même que leur fils Ozias décorera à compter de 1896. Le peintre était le deuxième d’une famille de 10 enfants dont quatre étaient morts en bas âge. Il fréquente l’école du rang des Trente jusqu’à la sixième année et il en conserve un petit livre sur L’art au Moyen-Âge obtenu pour son application. On le dirige ensuite à l’école modèle où Nectaire Galipeau enseigne à une quarantaine d’enfants. Leduc dira plus tard du maître qu’il l’encourageait à l’étude en lui donnant de belles images à copier et surtout en le laissant dessiner les animaux qu’il voyait dans son livre de géographie.

Dès cette époque se développent ces traits qui caractériseront sa personnalité : c’est un enfant rêveur, sensible et timide, qui se rend vite compte que ses amis le comprennent mal. Il aime s’isoler et se promener dans les champs ou dans la montagne en profitant de la grande liberté que ses parents lui accordent. Leduc confiera plus tard à son élève Gabrielle Messier: « Le passage de l’enfance à l’art a été imperceptible! Au début, au temps où je prenais un peu conscience de ma personnalité, il me semblait que j’avais un penchant pour ce que, depuis, j’ai reconnu comme étant un goût des choses rares, ou belles si vous voulez. N’était-ce pas un signe que, plus tard, cette inclination me porterait avec force vers l’art, vers son rayonnement? »

Intérieur de l’église de Saint-Hilaire. SHBMSH, fonds Armand-Cardinal

Même si Leduc dira qu’il était autodidacte, on sait qu’il avait suivi des cours dans un institut d’arts de Montréal où il commença à fréquenter des artistes dont le contact sera précieux pour lui. Ces études renforcèrent son intérêt pour le dessin comme objet de beauté. Tout au cours de sa carrière, nous le savons tous, Ozias Leduc manifesta continuellement une très grande attirance pour le dessin.

Au cours des années 1880, le jeune Ozias Leduc commence à travailler à Montréal. L’artiste était originaire d’une famille modeste et n’était pas fortuné; il n’était pas question d’aller poursuivre ses études en Europe immédiatement.

L’atelier Correlieu d’Ozias Leduc. SHBMSH, Fonds Armand-Cardinal   

Il commence donc à se dénicher de petits emplois, comme peintre de statue par exemple. Il travaille avec Luigi Cappello à la décoration de l’église de Yamachiche. Capello avait épousé Marie-Louise Lebrun, la cousine de Leduc, quelques années plus tôt et quand elle deviendra veuve, Leduc l’épousera à son tour en 1906. Il deviendra ensuite l’élève de J. Adolphe Rho qui signe lui-même un tableau peint par l’artiste de Saint-Hilaire! Ozias Leduc, au début de ces années 1890, obtenait des contrats de peinture d’église (parfois de simples copies) ici et  là : à Montréal, Verdun, Lachenaie. Il peint aussi des portraits et des natures mortes et participe pour la première fois à une exposition publique. En 1892, il a 28 ans et il remporte un premier prix à l’Art Association of Montreal pour une nature morte; il participe l’année suivante à la Chicago Columbia Exhibition. Pendant ce temps, il peint des tableaux à l’église de Joliette qui suscitent l’admiration.

De retour à Saint-Hilaire, Ozias Leduc construit en 1894 son atelier Correlieu sur la terre familiale, au rang des Trente. L’atelier est au pied de la montagne, entouré du verger familial dont il s’occupe avec soin. On a beaucoup spéculé sur la signification du mot Correlieu, « lieu de rencontre des amis » ou « lieu du cœur » mais l’artiste, en première page de son cahier Liste des visiteurs en indiqué la signification : « endroit où le cœur est en tout ». L’atelier a été incendié et démoli en 1983.

À compter de ces années 1890, Ozias Leduc entreprendra la décoration intérieure de plus de trente églises et chapelles au Québec surtout mais aussi jusqu’au Manitoba, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et au New Hampshire (É.-U.). Ce sera le principal gagne-pain de Leduc tout au long de sa carrière.

La décoration de l’église de Saint-Hilaire occupe évidemment une place à part dans cette liste. Commencés en 1896, les travaux seront interrompus au bout de quelques mois pour permettre à l’artiste d’aller effectuer des recherches en Europe. Il reprend la décoration en 1898 et la termine l’année suivante. Au total, le peintre hilairemontais exécute quinze tableaux, quatorze stations de chemin de croix et un médaillon. Leduc décore également la chapelle du couvent (1926) et y peint un chemin de croix (1949-1950). L’art religieux, écrira-t-il plus tard, s’appuie sur l’unité et sur l’harmonie. Il précisera sa philosophie de l’art : « La Beauté est une, variée et ordonnée. N’oublions pas que le beau est la splendeur de l’ordre. Or Dieu est la Beauté même ».

Malgré la grande importance de ses peintures religieuses, il faut reconnaître que ces dernières étaient des commandes qui exigeaient de respecter certains critères (choix des sujets, etc.). C’est davantage dans les peintures de chevalet que l’artiste pouvait exploiter son approche personnelle de l’art. Sans doute approchait-il alors de l’esthétique qu’il recherchait. Il affirmait à ce sujet que « C’est par [l’Art] que l’artiste, son inventeur et son ministre, se communique à son semblable, et peut s’exprimer lui-même à lui-même. C’est par lui qu’il rend palpable, je dirais, la Poésie, essence de la Beauté ». Ces peintures de chevalet, ce sont des portraits où Leduc essaie, par sa sobriété d’exécution, de rendre l’identité, l’âme même de la personne représentée. Ou encore des natures mortes où l’agencement des couleurs (la lumière et les zones sombres) produit une harmonie poétique inimitable. Ou enfin des paysages qui expriment son amour pour Saint-Hilaire et sa complicité avec la nature qui l’entoure.

À compter de 1910, l’expression des tableaux de Leduc est de plus en plus symboliste. Ses tableaux deviennent spirituels. Il écrit alors : « Tout art est symboliste. Tout art doit signifier quelque chose » . Ses paysages suscitent de plus en plus la méditation et atteignent l’intimité du spectateur. La conscience de celui-ci s’élève jusqu’à un niveau spirituel. Ces tableaux symbolistes sont les œuvres majeures de l’artiste. En plus des décorations d’églises et des peintures de chevalet, le peintre de Saint-Hilaire s’intéressa à d’autres types d’expression artistique. En 1899, il illustre Claude Paysan , le roman de l’écrivain Ernest Choquette, aussi médecin et maire de Saint-Hilaire, dont il exécutera les décors de théâtre pour la pièce Madeleine présentée à Saint-Hilaire en 1928. Il illustra également un ouvrage de Guy Delahaye (Guillaume Lahaise), un jeune poète de la paroisse.

Alors qu’il est déjà très occupé par ses activités d’artiste et ses travaux de pomiculteur, Leduc accepte tout de même de devenir commissaire d’écoles à compter de 1918. Il fait planter des arbres autour des écoles de la paroisse et demande qu’on installe des gravures sur les murs des salles de classe. Quatre ans plus tard, il doit abandonner son poste pour aller travailler à la décoration de la chapelle de l’évêché de Sherbrooke dont il s’occupera avec Paul-Émile Borduas, son jeune apprenti.

De retour à Saint-Hilaire en 1924, la municipalité lui demande de devenir conseiller municipal, poste qu’il occupera jusqu’en 1937. L’artiste dit à ses collègues que « L’esthétique est une composante du développement du territoire; les travaux publics dont nous avons la gouverne n’en sont pas exemptés » , une phrase toujours d’actualité. En 1931, il était élu marguillier et six ans plus tard il devenait membre fondateur de la Société d’histoire régionale de Saint-Hyacinthe. On n’en finirait pas d’énumérer les preuves de son implication sociale dans son milieu.

En guise de conclusion, rappelons-nous cette phrase d’Ozias Leduc : « J’ai tâché de rendre mon art vivant, en considérant notre petite patrie Saint-Hilaire comme une entité qui serait notre œuvre d’art que tous ensemble, ses habitants, nous devons perfectionner et embellir ».

— Pierre Lambert, 2004 (mis à jour en 2020)